Vendredi soir, je sortais tout juste du vallon de Bès-Courmes suivi d’un Loup et j’étais épuisé. Une bière à la main, je me demandais ce que j’allais bien pouvoir faire le lendemain. Les plans ne manquaient pas, grimpe ou canyon… Choix difficile, d’autant plus que la fatigue m’empêche de réfléchir, à moins que ce ne soit l’effet de la Pelforth brune…
Un petit bilan météo m’annonce qu’il risque de faire des orages à Breil, mauvais point pour la Carléva, de même qu’à St Martin Vésubie. Thierry va sûrement m’appeler pour annuler le trou du diable. Bon, qu’est-ce qu’il me reste ? Tiens, il fait pour une fois assez beau du côté des gorges du Daluis. Et si on se tentait Amen ? Un coup d’oeil sur descente canyon… Les cascades finales ont été faites aujourd’hui. Gros débit, mais ça passe. Ok, c’est décidé, reste à recruter une petite équipe de gens motivés, sportifs et efficaces.
Je sors mes fiches (ici la musique de mission impossible se lance) et je sélectionne : Manu, l’ex-coloc toujours partant pour un canyon et qui appréciera pour une fois de faire du vertical; Anaïs, avec qui je commence à avoir fait pas mal d’activités et qui sait équiper (et puis il faut bien une fille); mon frère, il avance bien et c’est dans sa région. Nous sommes 4, c’est parfait pour ce genre d’aventure.
Coups de fil, oui instantanés, rendez-vous réglés. Amen.
Le canyon est sportif. La marche d’approche d’1h30 nous le souligne assez vite. Ca va être long ! Les paysages sont beaux. La montée en sous-bois est raide mais il ne fait pas encore trop chaud. Lorsque la pente se calme, le sentier commence à surplomber le canyon et le paysage s’ouvre sur les gorges du Daluis. La pélite rouge fait son apparition sous nos pieds. J’ai beau l’avoir vue toute mon enfance du côté des gorges du Cians, ça claque toujours autant visuellement.
Nous voilà enfin au bord de l’eau. Elle est fraîche mais pas froide, elle pousse bien mais sans danger direct mais elle est boueuse. Ca c’est dommage. Lorsque nous attaquons la descente, nous nous doutions que cette partie amont de la clue n’allait pas être une partie de plaisir. Des échos, j’en avais eu : c’est long, ça marche beaucoup, ça glisse, mais c’est beau. Et c’est vrai, mais en pire. Sans doute faut-il l’avoir faite une fois dans une vie de canyoneur niçois mais clairement, je n’y retournerai pas. Les obstacles sont rares et les quelques rappels sympas et arrosés ne font pas oublier les longues minutes de marche dans des blocs ultra glissants, traitreusement cachés sous une eau turbide (blâmons les orages fréquents du moment). Un vrai piège à chevilles. Certes, l’environnement est plutôt esthétique, mais ce n’est pas non plus grandiose. Tout ça manque cruellement d’encaissement et au final, beaucoup de balades pédestres dans la région offrent des paysages similaires. Le côté ludique est presque absent, d’autant plus pour nous qui ne voyons pas à 10cm sous l’eau et excluant tout saut un tant soit peu aléatoire… Donc bon, nous avançons laborieusement, à pas prudents et, une pause anniversaire et une bougie plus loin (merci Anaïs), nous arrivons enfin à l’échappatoire rive gauche, début de l’encaissement final et de sa cascade tant attendue.
Là, tout change. L’encaissement est réel, et avec lui l’engagement. On imagine facilement le caractère dramatique d’une crue dans ces méandres rouges. Les rappels s’enchainent, ponctués de siphons amusants. Le débit demande un peu de vigilance mais reste très tolérable. Lorsque nous arrivons en haut de la cascade finale, nous avons déjà oublié les 3 premières heures du canyon. Tout le monde a le sourire, jusqu’à ce que nous nous penchons vers le vide… L’enchainement C11, C20, C25 est plutôt impressionnant. La première cascade pousse vraiment fort et il faut descendre dans l’actif. Elle est pour moi celle-là !
La corde s’enroule et se croise autour de mon fidèle compagnon en forme de huit et c’est parti ! Je négocie par la droite, me prend pas mal d’eau sur les pieds mais je parviens à éviter le plus gros du débit. Je prends pieds sur le balcon intermédiaire 11m plus bas. C’est bruyant mais je suis à l’abri. J’imagine le relais suivant dans une niche sur ma gauche. Entre lui et moi, la cascade. Une bonne douche écrasante plus tard, me voilà longé au dessus de la C20, hors d’eau celle-ci. Je suis perché dans une mini baume, avec pour seuls compagnons une cascade au débit grondant et 50m de vide sous moi. Moment d’intensité assez rare… Et un beau cadeau d’anniversaire !
Mais je n’ai pas le temps de philosopher trop longtemps sur la petitesse de l’Homme et son besoin d’aller expérimenter des sensations inédites. Je sécurise le bout de corde, lance deux coups de sifflet pour le suivant et prépare la C20. Elle s’enchaine bien, de même que la C25 dessous. L’équipement est bien fait. Nous sommes tous en bas en quelques minutes. Que c’était beau, que c’était bien ! On en redemande ! Mais nous sommes fatigués. Il nous reste à traverser un Var noir de boue et à remonter le sentier jusqu’à la voiture, aux marches taillées par des géants. De retour à la route, nous pouvons contempler la cascade. Elle semble si petite d’ici. Les touristes qui s’arrêtent la prendre en photos ne comprennent pas bien ce que nous faisons là, hagards et décoiffés, un sourire béat sur les lèvres et de sévères traces de fatigue sur nos visages, à regarder ces trombes d’eau se fracasser sur les différentes terrasses. Nous avons envie de leur dire que nous y étions, mais nous nous abstenons, car cela n’appartient qu’à nous, et à nous seuls.